CHAPITRE XXXII
Agrippé aux commandes du Faucon, Yan Solo serra les dents quand l’Etoile Noire pulvérisa la lune de Kessel.
– Bon sang, s’écria Lando, c’était ma base lunaire ! D’abord Moruth Doole, puis une Etoile Noire. Cette affaire tourne décidément à la catastrophe.
Le visage dur, Mara Jade se pencha entre les deux sièges et cria dans le micro :
– Ici Mara Jade. Tous les vaisseaux au rapport ! Combien avons-nous de perte ? L’ordre d’évacuation est-il arrivé assez tôt ?
La voix imperturbable d’une guerrière de Mistryl lui répondit :
– Affirmatif, commander Jade. Nous avons réagi dès l’apparition de l’ennemi. Deux vaisseaux seulement n’ont pas réussi à décoller. Un troisième a été heurté par des débris… et détruit.
– Ainsi, il nous reste encore une force de frappe.
– Une force de frappe ? ricana Yan. Contre ce monstre ? Bon sang, c’est une Etoile Noire, pas un cargo.
A travers le cockpit en plastacier, le Corellien voyait le prototype tourner autour de Kessel comme un vautour qui a senti une charogne.
– Yan, plaida Lando, nous devons faire quelque chose avant que les Impériaux ne désintègrent aussi la planète. Pense à tout le glitterstim qui nous attend dans les galeries.
Mara se pencha de nouveau sur le micro.
– Formation d’attaque, dit-elle. Nous allons détruire cette Etoile Noire. (Elle se tourna vers Yan et baissa la voix :) Si c’est vraiment un prototype, ses défenses seront lacunaires. Pas d’escadre de chasseurs Tie, ni de turbolasers. C’est ce qui a causé le plus de dégâts à nos forces, non ?
– Pas tout à fait, dit Lando. La deuxième Etoile Noire a utilisé ses superlasers sur quelques-uns de nos plus gros navires.
Mara réfléchit un moment.
– Alors, il nous suffira de les tenir occupés pour qu’ils ne s’en prennent pas à la planète. Les turbolasers doivent être assez peu efficaces contre les petits navires.
– Je ne parierais pas ma chemise là-dessus, marmonna Calrissian.
– Au diable les probabilités ! lança Yan en se préparant à passer à l’assaut.
– Pourquoi faut-il toujours que ça me tombe dessus ? gémit Lando. Je suis vraiment le pigeon idéal pour les causes perdues.
Le Faucon Millenium se glissa à la pointe de la formation d’attaque des contrebandiers. Yan fut impressionné de voir avec quelle précision manœuvraient les pilotes. On eût dit des militaires entraînés à la perfection.
Ces types devaient avoir un sacré respect pour Mara Jade, songea le Corellien. En règle générale, les contrebandiers ne prenaient d’ordres de personne.
Un des vaisseaux d’attaque vint se placer à côté du Faucon. C’était un Z-95, le type de navire que Mara elle-même aimait utiliser.
La voix du pilote retentit dans les haut-parleurs.
– Ici Kithra. Faucon, prenez la tête de notre formation. Je me charge du flanc droit, et Shana du gauche. Nous frapperons ensemble l’Etoile Noire.
Yan reconnut la voix quelque peu pontifiante d’une guerrière de Mistryl. Il se demanda combien Mara en avait amené avec elle.
– Message reçu, Kithra, dit Jade. (Elle tourna la tête vers Yan.) Alors, Solo, prêt à diriger l’attaque ?
– Je n’ai jamais eu l’intention de lancer le Faucon à l’assaut d’une Etoile Noire. J’étais juste venu déposer Lando sur Kessel.
– Pense à l’attaque comme à un bonus.
– Dépêche-toi un peu, Yan, s’impatienta Lando, avant que l’ennemi ne fasse un carton sur nous !
– Heureusement que Leia n’est pas là, grogna le Corellien. Elle m’incendierait de me voir faire l’idiot comme ça !
Alors que le trio de vaisseaux approchait de son objectif, les turbolasers firent feu, manquant d’un cheveu le Z-95 de Kithra.
– Boucliers au maximum ! cria Yan. Tant pis si ça risque de ne pas servir à grand-chose.
A tout hasard, il tira trois torpilles à protons qui firent autant d’effet qu’une caresse à l’Etoile Noire.
– Il nous faudra un an pour percer la coque de ce truc, se lamenta Solo.
– Ai-je jamais dit que ce serait facile ? railla Mara Jade.
Les tentacules crâniens de Tol Sivron s’agitaient, indice d’une profonde irritation. Comment ces moustiques, avec leur ridicule armement, osaient-ils s’en prendre à son précieux prototype ?
– Que croient-ils donc faire ? marmonna-t-il.
Le capitaine des commandos répondit aussitôt :
– Si je puis me permettre, directeur, ne perdez pas de vue que cette Etoile Noire est un engin de démonstration, en quelque sorte. Il n’est pas conçu pour faire face à une multitude de menaces mineures. Une Etoile opérationnelle aurait quelque sept mille chasseurs Tie dans ses hangars, des centaines de batteries de turbolasers, et une escorte d’au moins douze super-destroyers. Nous n’avons rien de tout ça.
« Pris séparément, chaque ennemi est insignifiant. Ensemble, ces navires peuvent nous harceler pendant longtemps, et finir par nous causer des dommages.
– Dois-je comprendre que nous n’avons pas le moindre chasseur ? demanda Sivron, visiblement indigné. Voilà une planification exécrable. Qui a rédigé cette partie du protocole d’essai ? Je veux le savoir sur-le-champ.
– Directeur Sivron, dit le capitaine, de l’exaspération dans la voix malgré le filtre de son casque, ça ne semble pas très important pour le moment.
– C’est important pour moi ! répliqua Sivron d’un ton sans réplique.
Il se tourna vers Yemm, qui était déjà en train de chercher dans les archives.
– Directeur, Qwi Xux avait la responsabilité de cette section. Elle s’est surtout intéressée au développement du superlaser, et elle a négligé les considérations tactiques.
Sivron soupira à fendre l’âme.
– Eh bien, nous venons de mettre le doigt sur le point faible de notre protocole d’homologation. Il est anormal que personne ne s’en soit avisé avant. A quoi servent donc nos réunions ?
– Monsieur le directeur, dit Doxin, que ce désagrément ne nous fasse pas oublier les fantastiques performances du superlaser.
– Bien sûr, bien sûr… Néanmoins, nous devrions organiser une réunion pour évaluer les implications de…
Le capitaine des commandos se leva d’un bond de son siège.
– Monsieur, il faut agir au plus vite ! On nous attaque !
Une série d’explosions secoua l’Etoile Noire.
– Trois coups au but, commenta le capitaine. Des torpilles à protons. Et ça ne fait que commencer.
– Eh bien, ripostez avec les canons-lasers, dit Sivron d’un ton las. On devrait pouvoir détruire ces casse-pieds.
– Le générateur principal n’est qu’à demi chargé, rappela Doxin.
– Et alors ? objecta Sivron. Ça n’est pas suffisant pour écraser quelques moustiques ?
Doxin parut dubitatif, mais il n’insista pas.
– Hum… Oui… Enfin, je crois… Nous sommes prêts à tirer, en tout cas.
– Quand vous voudrez, mon vieux, ironisa Sivron.
Doxin ordonna aux canonniers de faire feu. Quelques secondes plus tard, le super rayon jaillit de l’Etoile Noire et pulvérisa un chasseur ennemi. Réagissant à la vitesse de l’éclair, les autres s’éloignèrent du lieu de l’explosion et s’éparpillèrent autour de l’Etoile.
– Vous avez vu ? s’extasia Sivron. Nous en avons eu un !
– Hourra ! trompeta Golanda. Il en reste combien ? Une bonne quarantaine… (Son ton se fit sinistre.) Dans un quart d’heure, le superlaser n’aura plus d’énergie.
– Directeur, si je peux faire une suggestion, intervint le capitaine des commandos, nous devrions quitter le secteur. La preuve est faite que notre nouvelle arme fonctionne à merveille. A quoi bon risquer qu’elle soit endommagée par les Rebelles ? Préservons l’Etoile Noire, et livrons-la aux autorités impériales.
– Et comment nous y prendre, selon vous ? demanda Sivron.
– Retournons dans l’amas de trous noirs de la Gueule. Ces petits vaisseaux ne nous suivront pas. Le prototype n’est pas très maniable, mais il est rapide.
Je précise qu’il est inutile de revenir près du Complexe. Nous cacher à l’autre bout de la Gueule sera suffisant.
L’homme se tut un moment. Puis, sans enthousiasme, il conclut :
– Une fois que nous serons à l’abri, vous pourrez organiser une réunion pour décider de la suite des opérations. Si ça vous chante, vous aurez même tout loisir de créer une commission.
Ce mot magique emporta la décision.
– Excellente idée, capitaine ! Mettons-la à exécution. Partons d’ici aussi vite que possible.
Le commando introduisit un nouveau cap dans l’ordinateur de navigation. L’Etoile Noire prit la tangente, s’éloignant à vive allure de Kessel.
– C’est passé près ! s’exclama Yan Solo après que l’Etoile Noire eut tiré pour la troisième fois. Le rayon a frôlé nos boucliers arrière.
Le Z-95 de Shana avait été détruit. Les autres navires s’étaient éparpillés comme un vol d’hirondelles.
– Ici Kithra. Nous devons nous regrouper !
– M’est avis qu’on ferait mieux de mettre les bouts ! dit Yan.
– Regardez ! cria Lando. L’Etoile Noire dévisse ! Nous l’avons forcée à fuir.
– A moins qu’elle ne s’éloigne seulement pour recharger ses générateurs, hasarda Mara.
– Ma planète ne sera pas en sécurité tant que cette chose tramera dans le secteur, dit Calrissian. Yan, lançons-nous à sa poursuite ! Si le Faucon parvient à approcher du réacteur…
– Lando, tu as reçu un coup sur la tête ? N’oublie pas que c’est mon vaisseau !
– Je ne risque pas… Mais lui et moi avons déjà fait ce coup-là ! Tu t’en souviens ?
– J’ai un mauvais pressentiment, souffla Yan en glissant un regard à Mara Jade. Mais tu as raison, on ne peut pas se contenter de fuir. Si le prototype tombe entre les mains de la Marine impériale, il se produira une série de catastrophes dont je refuse de me sentir responsable. Allons-y !
Il poussa le vieux Faucon au maximum de sa vitesse.
Mara s’adressa à la flotte de la Guilde :
– Ordre à tous les vaisseaux de battre en retraite. Nous prenons l’ennemi en chasse. Seuls.
Le Faucon rattrapa rapidement l’Etoile Noire, qui n’avait aucune chance de lui damer le pion sur le plan de la vitesse.
– Accrochez vos ceintures ! cria le Corellien.
Avec son adresse coutumière, il entreprit de slalomer entre les tubulures géantes de l’Etoile, approchant de la zone hypersensible où était niché le réacteur.
Alors qu’il s’engageait à toute vitesse dans un étroit passage, une énorme grue encore fixée à la coque du prototype se détacha et bascula. Déséquilibré par les tirs des contrebandiers, l’engin de construction n’avait pas résisté au brusque changement de cap de l’Etoile.
– Attention ! cria Lando. Ce truc nous tombe dessus !
Yan écrasa le bouton de mise à feu de ses canons-lasers, pulvérisant la grue avec une précision chirurgicale.
Lando s’adossa à son siège et poussa un long soupir de soulagement.
Il faillit rendre ses poumons avec quand le Faucon piqua soudain du nez. Un fragment de plastacier – quelques tonnes, pour le moins – venait de percuter les boucliers, les traversant assez pour éperonner la poupe du navire de Yan. Des étincelles jaillirent du tableau de bord, et de la fumée monta du compartiment moteur.
– On est salement touchés ! cria Lando.
Yan agrippa les commandes.
– Ce bon vieux Faucon en a vu d’autres, lança-t-il. Il tiendra le coup.
Lando croisa les doigts pour que ce vœu pieux soit exaucé.
Les moteurs auxiliaires choisirent ce moment pour s’allumer et donner à l’Etoile Noire une forte impulsion. Yan usa de tout son talent pour empêcher le Faucon de percuter les parois du passage où ils se trouvaient.
– Je ne vais pas pouvoir faire ça jusqu’à la fin des temps, dit-il. Quelqu’un a une idée ?
– Désolé, l’ami, mais je suis à court, répondit Lando. Bon sang, je n’aurais jamais cru devoir revivre ça… Me revoilà en train de faire l’andouille dans les entrailles d’une Etoile Noire.
– Les moteurs battent de l’aile, annonça Yan, un œil sur la liste de dommages affichée sur son écran de contrôle. Sans réparations, on court à la catastrophe. Un moment rêvé pour une panne !
L’Etoile Noire tourna une nouvelle fois sur son axe, changea de cap et accéléra un peu plus. Yan évita habilement une poutrelle métallique venue dont ne sait où. A demi terminé, le prototype lâchait ainsi d’étranges projectiles par destination qui finiraient tôt ou tard par avoir la peau du Faucon.
– Yan, il faut s’éloigner de l’Etoile, souffla Mara Jade.
– Impossible de nous en arracher avec des moteurs dans cet état, répondit le Corellien. Je ne veux pas éparpiller mes atomes dans l’espace. En tout cas, pas aujourd’hui…
C’était une belle façon de mourir, certes, mais pas pour un père de famille.
– Il faudrait que je jette un coup d’œil aux moteurs, continua le Corellien, mais c’est infaisable tant que l’Etoile file à cette vitesse. Les amis, nous allons devoir nous arrimer pour le voyage.
– Nous arrimer ? répéta Mara Jade, interloquée.
– C’est un petit truc à moi, dit Yan. Je l’ai déjà utilisé pour bluffer des Impériaux qui me collaient au train. Le Faucon est équipé d’un système de mon cru. (Il modifia la trajectoire du vaisseau, l’amenant presque au contact de la coque de l’Etoile.) J’appelle ça mon billet de passage incognito. La première fois que je m’en suis servi, c’était pour m’accrocher au dos d’un destroyer, que j’ai quitté quand il a vidangé ses déchets, juste avant de plonger dans l’hyperespace.
Le Faucon s’arrima avec un bruit métallique.
– Et voilà le travail ! triompha le Corellien. On est en sécurité pour le moment, même si je préférerais être plus loin du réacteur. Mais si les Impériaux projettent de retourner dans la Gueule, on risque d’être sacrément secoués.